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Il n'est pas de montagne plus haute que les marches de l'oubli

Ode à la femme africaine

images[5].jpgFemme nue, femme noire
       Vétue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté
       J'ai grandi à ton ombre; la douceur de tes mains bandait mes yeux
       Et voilà qu'au cœur de l'Eté et de Midi,
       Je te découvre, Terre promise, du haut d'un haut col calciné
       Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l'éclair d'un aigle

       Femme nue,  femme obscure
       Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais  lyrique ma bouche
       Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes du Vent  d'Est
       Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde sous les doigts du vainqueur
       Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l'Aimée

       Femme noire, femme  obscure
       Huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l'athlète, aux flancs  des princesses du Mali
       Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau.

       Délices des  jeux de l'Esprit, les reflets de l'or ronge ta peau qui se moire

       A l'ombre de ta  chevelure, s'éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux.

       Femme nue,  femme noire
       Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l'Eternel
       Avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de  la vie.

Léopold Sédar Senghor, Chants d'ombre
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Le pouvoir de tes yeux réunit le temps, conjugue le passé de façon nourricière, apprend l'origine de nos terres, il n'est que lumière; nul besoin de livres et de partitions pour en observer noble vibration. Présent devant lui, j'en accepte l'héritage, je pleure d'humanisme devant pareil témoignage. Dans tes yeux, je vois le futur, je l'espère retrouvé ce monde perdu, isolé par nos sociétés. Devant telle richesse j'apprend simplement, ton sourire d'allégresse, me nourrit aisément. Tes lèvres, tantôt généreuses, toujours délicieuses, sont un appel à grandir celui du plaisir. Tes yeux de bijoux, ton sourire sensuel, ton visage d'expressions ton corps d'anniversaire font de toi Femme noire la plus belle des prières pour un monde de merveilles, rempli de désir sans aucunes extinctions. Ta peau c'est la vie, ta peau c'est le noir, ta peau c'est l'envie d'y trouver territoire.                    
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 I- L’hommage  à la femme noire

a) La  femme noire à différents moments de la vie


Vers 3 :  Mère et enfant. Vers 6 : Jeune fille : éveil de l’amour. L’indicatif  présent est opposé au passé. La foudre (« foudroie ») est une métaphore réitérée par l’« éclair ».  Le poète est dans le chaos : « tonnerre » : allitération en [T]. La  femme est la savane, elle frémit, gronde (personnification de la savane) :  « savane ; femme ; tamtam ». Allitérations en [F] et [V] pour le souffle.
A la dernière strophe : femme face à son destin, âgée « beauté qui passe », en cendre (morte). C’est le temps qui passe. Pour  Senghor, la mémoire et l’écriture permettent de fixer l’existence et la beauté  dans l’éternité.

b) Les  qualités de la femme

Ce poème est un hymne à la femme noire. Les 4 premières strophes :  interpellations, accumulations, appositions à la femme noire et nue :
- Protectrice  (protège l'enfant, accueille l'homme mûr)
- Douceur
- Apporte  calme et réconfort (métaphore de l’huile = apaisant, renforcé par les monosyllabes et allitération en [L])
- Apporte  une lumière spirituelle

La femme est source de vie, associée à l’au-delà et à  l’ici-bas. Jeux de correspondances horizontales et verticales. La femme est  condition de toute vie.

c) Le  poète chante sa beauté

    La couleur noire symbolise la vie « Vétue de ta couleur qui est vie ». Beauté de la femme nue sans artifice : « ta forme qui est beauté ». La beauté habille la femme « Vétue ».
La beauté de la femme devient sculpturale :
    - Tamtam  (femme, tension, grandeur)
    - Reprise  de « femme nue, femme noire »
- Grâce  (métaphore de la « gazelle » : légère, musclée, aérienne,  renforcé par : « gazelle ; céleste ; perle »)
- Evoque  l’envol car il y a une gradation (matériel, terrestre, astral)

Presque tous les sens sont sollicités pour ressentir  la beauté de la femme noire : vue, goût « sombres  extases du vin noir », toucher  « caresses ferventes du Vent  d'Est », ouïe « tamtam tendu qui gronde  sous les doigts du vainqueur / Ta voix grave de contralto est le chant  spirituel de l'Aimée ».

II- Sensualité  et mysticisme

a) Nudité  et mystère


      Même nue, la femme est chargée de mystères. « femme  obscure » : double sens : femme noire et femme mystérieuse.
Assonances en [U] = profondeur, respect et  admiration. Obscurité sensuelle car surprises laisse libre cours aux fantasmes.  La femme noire = chants d’ombre. Chez Senghor, l’évocation de la femme revient  au clair obscur.
      La femme noire est à la fois obscurité et lumière. Jeux de lumière : « A l'ombre [...] s'éclaire »..., champs lexicaux de l'ombre et de la lumière dans tout le  poème soulignant la complexité de la femme.

b) Amour  et élévation spirituelle

      L’image  biblique : « Terre promise » Moïse découvre la terre  promise. Milieu aride pourtant plein de promesses. La femme donne apaisement et  sérénité. La femme est un sujet maternel et de séduction. Elle protège l’enfant  qui deviendra un homme ou une femme. Le cycle naturel est présent.

      L’élévation : extase du aux rapports amoureux. Le  désir et divinisé. Le couple est une métaphore de la savane allié aux  « horizons purs ». Spiritualité dans les attaches « célestes des  gazelles ». Par choix des mots, l’amour relève de la grâce, la force, la  retenue, la fusion. Les métaphores astrales, mystiques ont un rendu émotionnel.
Pour Senghor, la construction de l’homme et de la femme et la représentation du  monde ont tout leur sens. De plus l’univers et l’homme africain ne font qu’un.  Dès la naissance, puis jours après jours, il n’y a pas de limites entre le  monde d’ici et au-delà. Donc pas de limites entre le rêve et la réalité. Les espaces  ne sont pas cloisonnés.

III- Femmes  et terres africaines

a) Le  poème dépasse le lyrisme personnel

  Comme  dans « A une passante »  de Baudelaire, la  femme est la féminité. Toutes les femmes noires représentées n’ont pas  d’articles définis, indéfinis et pas de possessifs. C’est donc une  généralisation. Une construction simple de l’éloge faite à la femme. Pas de  « Ô » car prière fervente, poésie incantatoire. La femme noire est  l’Afrique : « nue ; belle ; obscure, mystérieuse ».  Registre de langue saint, car être au plus près possible de la nature renforce  l’éloge.


b) Paysage  et rythmes magnifiés

   La couleur jaune du soleil renforce la chaleur. Les savanes ont une  végétation pauvre. La « gazelle » et l’« aigle »  représentent la beauté terrestre et aérienne : la vie.
  Cette poésie évoque des sonorités africaines :  
- Tamtam  « Tamtam sculpté, tamtam tendu » : allitération en [T]  rappelant le son du tamtam
- Charme  de la voix grave de contre-alto
- Rythme  binaire

Les objets du quotidien et des cérémonies sont présents. Le  tamtam est symbole de ralliement, de cohésion sociale entre vivants et entre  esprits et vivants.    

Conclusion :

    Senghor  a voulu immortaliser la femme noire dans l’éternel. La femme est l’avenir de  l’homme. Ce poème est une ode intemporelle. C’est un renouveau dans le lyrisme.  L’amour courtois dépasse les frontières. Ce poème est proche des Yeux d’Elsa de  Aragon.

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09/04/2016
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